En vous promenant dans les rues de Kampala, vous pourriez apercevoir un personnage charismatique poussant un chariot de fortune chargé de haut-parleurs, de gratte-papiers, d’un panneau solaire, de claviers d’ordinateur et d’appareils électroniques. Ce drôle d’attirail n’est autre que l’orchestre sur roues que s’est fabriqué DJ Decimal : un jeune homme à la coupe stylée, affublé de lunettes noires sportives et d’un micro. Decimal, de son vrai nom Kyagwa Ronald, est un DJ et producteur autodidacte de 26 ans. Il a choisi ce nom parce qu’il est « on point », soit « exactement précis». L’artiste a appris la résilience dans la musique et dans la vie. Né avec un handicap médical grave aux bras et aux jambes, ce n’est qu’à l’âge de 7 ans qu’il commence à pouvoir marcher seul. Pendant cette période, grâce à l’amour et aux soins de sa famille installée dans le quartier de Banda à Kampala, Decimal peut grandir à son rythme, prendre le temps d’apprendre à marcher sans béquilles et utiliser sa force d’âme pour poursuivre sa vie dans la musique. « Avant, je voulais être avocat », dit-il dans le documentaire, « maintenant, je veux être une superstar ». À Kampala et en ligne, Decimal a déjà atteint une forme de célébrité. Les gens dans la rue adorent ce « one-man rave », et les fans en ligne bombardent Decimal d’appels et de messages d’amour et de soutien. Mais la vie n’est pas toujours facile. Même avec des millions de fans, il est difficile de gagner sa vie en poussant des haut-parleurs et en jouant des mixes décalés de morceaux de dancehall et de bruits d’animaux. Pourtant, Decimal poursuit son chemin, plein d’énergie et d’optimisme. Il collecte actuellement de l’argent pour remplacer du matériel cassé, un projet pour lequel vous pouvez faire un don ici. Interview avec la réalisatrice Marion Desmaret afin de mieux comprendre la vie hors caméra d’un gars super, qui deviendra, on en est sûr, superstar !
Lorsqu’il joue dans les rues de Kampala, c’est toujours un grand événement. C’est comme si le temps s’arrêtait. Les gens n’en croient pas leurs yeux au début, puis ils éclatent de rire et les sourires ne disparaissent pas. C’est là que Decimal prouve qu’il est un véritable artiste, en taquinant son public, en envoûtant les enfants, en charmant la police et en perturbant la routine de tout ce monde avec un moment de pure joie. Ses spectacles sont aussi son gagne-pain : il parcourt des quartiers entiers avec sa machine, et les gens ont l’habitude de le voir travailler dans certains quartiers pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’il change de quartier pour trouver de nouveaux fans. Les gens l’adorent et lorsque nous sommes rentrés à Kampala après sa prestation de trois jours au festival Nyege Nyege, dont il est devenu la mascotte, les gens criaient son nom partout où nous allions en ville. Une véritable légende locale.
Je l’ai découvert sur Instagram, où une page avait reposté l’une de ses vidéos qui était devenue virale. J’ai vu qu’il était tagué dans les commentaires. Son Instagram n’était pas très mis à jour, mais j’ai découvert que sur TikTok, il avait des millions de followers. J’ai ensuite envoyé ses vidéos à Derek de Nyege Nyege, qui a demandé à l’artiste et animateur radio ougandais Jokwiz Klean de retrouver Decimal Point, car il s’est avéré qu’il vivait à Kampala. Jokwiz a de bonnes relations et parle le luganda, mais la tâche n’a pas été simple. Pendant des semaines, Decimal n’a pas décroché le téléphone et n’a répondu à aucun message, jusqu’à ce qu’un jour, ça marche. Jokwiz lui a parlé de mon idée de film et a coordonné notre tournage. Il l’a également mis en contact avec l’équipe de Nyege Nyege pour organiser sa prestation au festival. Plus tard, nous avons compris pourquoi DJ Decimal était si difficile à joindre. Il lui arrive souvent d’éteindre son téléphone en raison du flot d’appels et de messages qu’il reçoit de ses fans du monde entier. Cela ne s’arrête jamais.
Ses mixes sont principalement composés de kidandali, un genre musical ougandais, et de dancehall, sur lesquels il se lance à fond dans l’expérimentation en modifiant les morceaux, en ajoutant des sons d’animaux et des breaks fous. Il m’a fait part de son admiration pour Chameleon, Bobi Wine et Bebe Cool. Depuis décembre dernier, il apprend la production afin d’améliorer son set de DJ. Bientôt, il sillonnera les rues avec une nouvelle machine améliorée, prête à mixer ses propres morceaux en direct. Sa musique est de la vraie musique d’outsider. Honnête et magnifique. Préparez-vous à être surpris !
Il est l’une des personnes les plus travailleuses que je connaisse. Il travaille constamment à la réalisation de son prochain projet et rien ne peut le ralentir. Depuis qu’il a acheté un ordinateur portable et commencé ses propres productions, il travaille sans relâche, jour et nuit. Il y a quelques semaines, il m’a envoyé un lot de plus de 40 titres. Il se lance constamment des défis. C’est un guerrier depuis sa naissance, mais c’est aussi un blagueur, et son humour et sa gentillesse font que tout le monde tombe amoureux de lui. Où qu’il aille, DJ Decimal est le chouchou de tous.
Kampala ne s’arrête jamais. La ville est pleine de vie, exaltante. La musique à fond dans les rues, les bodas qui dansent leur ballet hypnotique et dangereux, les vendeurs de nourriture partout… Quand j’y suis, j’ai le sentiment que tout peut arriver, que tout est possible et que l’on peut être surpris à chaque coin de rue.
Nous avons tourné dans 7 endroits différents, de sa maison à Banda dans le district de Kampala à Jinja où se déroulait le festival Nyege, et partout où nous sommes allés, l’atmosphère était incroyablement positive. Decimal sait vraiment comment animer la rue, alors je n’ai eu qu’à garder les yeux ouverts et la caméra prête à capter l’excitation et les interactions avec la foule. Pour la dernière séquence du film, Rey Sapienz, l’artiste résident de Nyege, a organisé une performance conjointe entre Decimal et le collectif artistique congolais KinAct, dirigé par Eddy Ekete « The Tin Can Man », avec les artistes Meme et Kingsley. Nous avons filmé tout autour du marché aux poissons de Ggaba, au bord du lac Victoria. C’était magique.